Revue Etudes – Juillet 2011 – L’ECHANGE

L’échange de Paul Claudel : Théâtre À Châtillon, 29 avril 2011

Ou bien le théâtre met en scène des idées, ou bien il est vrai. Avec Claudel, il s’en faut toujours de peu que l’on succombe. L’échange ne vaut que par les tensions qui se diffractent sur les quatre personnages et non pour l’énoncé d’une vérité déjà sue. Quatuor, Claudel l’avait dit, L’échange exige que soit trouvée sur scène l’unité du drame qui se nourrit du déchirement des personnages. Echanger, serait-ce le dénouement heureux de nos amours ou la ruine d’une liberté désorientée ?

Marthe, jeune paysanne française fut arrachée à sa terre natale par Louis Laine avec qui elle vit sur la Côte américaine. Sauvage fougueux qu’irrigue un sang indien, Louis se laisse emporter par Lechy Elbernon, actrice ravageuse, que ne retient pas son mariage avec l’homme d’affaires prospère et fier, Thomas Pollock Nageoire. Pollock, pour qui tout se compte en argent, propose à Louis une affaire : qu’il lui vende sa femme pour retrouver sa liberté. « Moi, je l’ai toujours dit : une seule valeur, un seul prix, un seul métal ». Humiliée, Marthe retient Louis en vain. « J’irai là où il n’y a personne avec moi ». Louis, l’insoumis s’emprisonne. Lechy s’engloutit dans l’élan qui la porte vers les autres. Restent Pollock et Marthe et ce qui pour eux s’est ouvert.

Pièce de l’attraction, dans l’abondance des paroles et l’appel des corps, L’échange a trouvé une voie sur la scène grâce à Valérie Castel Jordy, ce printemps au Théâtre de Châtillon. Claudel frôle l’impossible : lyrisme taillé pour la lecture et œuvre d’un théâtre visionnaire. Ecrit entre New York et Boston en 1893-1894, L’échange vint sur les planches entre les mains novatrices de Copeau (1914). Valérie Castel Jordy, de la Compagnie L’Explique-Songe, et ses acteurs à part égale, donnent à cette fusion du verbe et de la chair, sa lisibilité. Elle fait voir et entendre, jusque dans sa tension érotique, ce qu’anime le cœur humain. Mise en scène au couteau : Marthe, sans appui, élevée sur une croix de lumière, au début de l’acte III, qui tranche avec l’irradiation de Lechy et la transe animale de Louis. Le théâtre n’exhibe pas le discours intérieur, comme en la tragédie, ni même les sous-conversations de la psyché, mais il fait sentir la pulsation qui s’empare de chacun, le mène hors de lui et touche l’autre, jusque dans la salle. Discernant le rythme de chaque personnage, là où il le porte, la vérité de la scène émerge dans ce qui nourrit ou détruit leur relation. Vérité gauche de Pollock qui apprend de Marthe à lui tendre un bouquet. Vérité de la part donnée à chacun, comme le pain quotidien, qui ne nourrit que dans l’échange.

Patrick Goujon, sj

Revue Etudes, juillet 2011

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