Propos du metteur en scène sur le Chant du Dire-Dire

Dans un train, je décide de mettre en scène Le Chant du Dire-Dire.

Quelques mois plus tard, Hervé Masquelier, directeur du Théâtre des 2 Rives de Charenton-le-Pont, me propose de présenter la pièce dans son théâtre. L’aventure est lancée. L’accueil et la confiance de l’équipe du T2R nous rendent forts. L’équipe artistique réunie pour ce spectacle est singulière et précieuse. Nous trouvons un souffle commun. Daniel Danis nous pousse à nous creuser la tête et à bousculer la logique du temps linéaire. Nous convoquons l’humour et l’énergie qui naissent du rien. A l’image des personnages, nous voulons déplacer les montagnes et avons la conviction que les mots offrent des armes pour lutter contre le dessèchement de l’imagination. « Nos bouches sont devenues des cieux par où vont sortir nos colères ! »

Dans un autre train, je trouve la scénographie du spectacle : le chaos.

Le spectateur sera témoin d’un espace défoncé, comme un champ de bataille. Les quatre personnages traversent des cataclysmes. Ce sont des voix d’outre-tombe qui parlent mais elles sont encore chaudes et vivantes comme une chanson de blues. Les personnages sont cloués à leur cabane, mais leur esprit voyage comme une bande son de road movie. Loin de l’oratorio, les acteurs vont donner toute la chair et la sueur qui conviennent à une écriture dramatique aussi puissante que contrastée.

Le voyage est intérieur, le temps, suspendu, la vie, sur un fil.

Les frères racontent leurs blessures et les combats qui furent les leurs. Les instants passés surgissent dans les corps qui éprouvent à nouveau les pulsions anciennes. Noéma nous donne à voir ce qu’elle ressentait dans sa torpeur. Son corps est poreux et se dilate dans l’espace. L’espace de jeu devient alors chorégraphique. La danse sera de l’ordre de l’esquisse. Il s’agit de montrer des corps qui se débattent, qui suintent, qui se souviennent. De la même façon que les objets sont détournés, le jeu des corps est transposé.

Bouger dans sa tête est le meilleur moyen d’être concret face à un texte aussi polysémique. Poétique et cassée, la narration doit se dire au présent même si elle se conjugue à l’imparfait. Par moments, le passé et le présent se confondent ; le discours direct surgit du discours indirect. Dans la pièce, la parole est centrale et l’action l’est d’autant plus. Les évènements du passé sont vécus au rythme de l’énonciation.

« WILLIAM : Je te revois râler.
Je te criais : râle, crache, meurs.
Une autre force colérique me fait te lever par le collet, te frapper la tête sur les portes de l’armoire.
Entends-tu, la vaisselle en tremble !
Je le tuais. Le sang continuait de couler dans son cou.
Fred-Gilles, les deux mains vers le plafond, comme pour vouloir dévisser les ampoules, me criait :

FRED-GILLES : Calme-toi, William, on est des frères d’amour !
L’amour, qu’est ce que t’en fais ? »

Les personnages recollent les morceaux du passé et donnent au public le sens de leur passage dans ce monde. Dans le Dire-Dire, objet en cuivre mystérieux et libérateur, les secrets peuvent être formulés, les souvenirs joyeux surgissent.

« Dire avec le Dire-Dire :
WILLIAM : Noéma, à tous les Noëls, tu voulais qu’on regarde nos faces déformées dans les boules de l’arbre ; des faces rouges, bleues, vertes ; tu disais qu’on venait d’une autre planète.»

Le Chant du Dire-Dire est un hymne à l’humanité dans ses failles et ses contradictions. Rock, William, Fred-Gilles et Noéma semblent « venir d’une autre planète ». Ceux qui sont en marge, les parias, les incompétents, sont ici célébrés. Drôle, animale et explosive, la langue de Danis construit un monde où la sauvagerie se mêle à la quête d’un ailleurs plus beau. La peur qui « finit par tailler nos faces de farces », celle qui vient de l’enfance, est un moteur de jeu pour les acteurs et un axe fort de mise en scène.

Le Chant du Dire-Dire raconte la différence, la difficulté de dire, les tentatives de formulation et d’expression de l’amour. La pièce est foisonnante et l’adresse au public est pour nous une priorité. A l’image de Noéma, petite luciole dans la nuit, nous tenons à incarner cette langue étonnante dans toute sa clarté tout en laissant agir son mystère et sa beauté.

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