L’écriture de ma nouvelle pièce Au coeur des cendres est librement inspirée par l’oeuvre d’Etty Hillesum, jeune autrice d’origine juive qui a tenu un journal et rédigé des lettres entre 1941 et 1943 à Amsterdam et au camp de
transit de Westerbork.
Etty Hillesum est entrée dans ma vie en 2010 lors d’une formation. L’intervenante m’a dit : « tu me fais penser à elle. » Je n’ai pas compris pourquoi. Quelques mois plus tard, coïncidence, une comédienne m’offre son livre, Une vie bouleversée. J’ai commencé à lire quelques pages puis le livre est resté fermé plusieurs années. En 2014, je me suis lancée et j’ai été saisie. En lisant, des images scéniques me venaient et se sont fortement
imprimées en moi. En 2017, j’ai commencé une ébauche d’adaptation et j’ai compris un an plus tard qu’il ne s’agissait pas seulement d’adapter mais d’écrire une pièce. En 2019, j’ai travaillé alors sur son oeuvre complète
et j’ai passé des soirées d’écriture d’une rare intensité en compagnie de celle qui était devenue mon amie.
J’ai choisi de m’inspirer de la vie d’Etty Hillesum pour faire entendre une parole de femme prise dans l’étau d’une des pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité et qui est parvenue à répondre à la violence par
l’amour. Avec la montée des nationalismes un peu partout en Europe, son expérience est plus cruciale que jamais à faire connaître.
Les conditions de vie, de plus en plus dures, qu’elle a connues, ont fait d’elle une exilée, mais n’ont pas empêché qu’une voie de libération s’ouvre en elle. Etty Hillesum a réussi à percevoir les forces de vie à l’œuvre
dans l’histoire alors même qu’elle s’assombrissait. La pièce est traversée par une formidable dynamique de vie dans une période qui reste pour nous une tragédie européenne et mondiale.
La pièce mêle la pensée et l’expérience d’Etty Hillesum réécrites dans mon propre style et des passages fictionnels où j’ai imaginé ce qu’elle a pu vivre dans ce wagon, assise à son bureau, avec des ami·e·s ou au camp
de Westerbork. L’écriture est faite de ce dialogue intérieur entre Etty Hillesum et moi, rencontre qui fait naître
une parole unique devenue plurielle. Une vingtaine de personnages traverse cette histoire, personnes réelles et personnages inventés qui échangent, vivent et luttent avec elle.
Autour de Juliette Rizoud, magnifque visage d’Etty, cinq interprètes dont une chanteuse et un musicien portent cette pièce avec cet enjeu jubilatoire de passer d’un personnage à l’autre. L’aspect engageant du
projet pour six interprètes me plaît parce que la puissance de jeu qu’ils vont devoir trouver fait écho à l’endurance d’Etty Hillesum. Le théâtre est bien là, indispensable à cette histoire. Changements de lieux, changements de rôles, présence du chant et de la musique, travail du mouvement et de la chorégraphie, espace épuré et lumières précises, tout aura une valeur théâtrale forte pour porter l’intensité de cette trajectoire humaine qui nous est si proche.
L’essentiel du texte a été adapté et écrit au cours de l’été 2019 et les confinements vécues à l’échelle mondiale donnent à la pièce un écho saisissant. Etty Hillesum a déployé des forces de résilience qui peuvent être
réellement éclairantes dans cette situation inédite et dans les conséquences qui suivront. Il ne s’agit pas d’un confit mondial comme en 1941, mais bien d’un combat collectif pour résister et tenir pour sortir ensemble de
cette crise. Un pont existe entre 1941 et 2020. La parole d’Etty Hillesum n’a pas été réduite en cendres. Elle bat comme un coeur que nous portons entre nos mains.
Valérie Castel Jordy