Ainsi vont les cerises
Espace scénique
La scénographie suit le mouvement du texte construit en 5 scènes. Nous découvrons d’abord deux univers séparés qui signifient la maison de chaque sœur : une porte centrale et deux portes de chaque côté formant un même ensemble de couleur rouge. Puis, elles se retrouvent devant la porte de la maison parentale : les portes latérales sont à la perpendiculaire de la porte centrale. L’espace scénique se resserre avec une scène devant l’armoire de la mère qui est à l’intérieur du dispositif des trois portes puis une autre dans la chambre des deux soeurs, avec le coffre à jouets. Comme les colis que la mère leur envoie avec des boites de plus en plus petites, la scénographie travaille la boite dans la boite dans la boite… Au final, l’espace s’ouvre du dedans vers le dehors où nous retrouvons les deux soeurs assises sur le banc du jardin, sous le cerisier.
Le jeu de piste se rétrécit petit à petit puis s’élargit pour la scène finale. Les éléments de décor sont mobiles pour faciliter leur manipulation et les changements de lieux. Ces mouvements sont pratiques mais aussi particulièrement beaux et poétiques pour des changements à vue. Avec Charlotte Villermet, notre désir est que le spectacle soit léger scéniquement et qu’il puisse être présenté dans divers théâtres et structures.
L’espace scénique crée un univers poétique autour des deux soeurs. La poésie qui se dégage d’un espace épuré où chaque élément devient signifiant comme dans un haïku, nous a guidées. Ces poèmes japonais sont magnifiques parce qu’ils disent beaucoup de choses avec peu de mots. La présence d’un tulle blanc au lointain ouvre vers l’onirisme porté par la messagère. Charlotte Villermet a souhaité que cette clarté soit lié au blanc de la fleur de cerisier et le rouge des portes à la couleur de la cerise. Ecorce de l’arbre et floraison crée une poésie dont elle fait un visuel scénique.
Les cerises, métaphore des deux soeurs, sont un clin d’oeil au nez rouge qu’elles ne porteront pas et le cerisier en fleurs est une promesse d’avenir pour leur réconciliation. L’humour du texte et des situations est important aussi pour notre scénographe qui a imaginé un décor en écho à cette dimension du spectacle. Charlotte Villermet, par son univers singulier et ses intuitions, fait de notre travail commun, une véritable collaboration. Pour le décor comme pour les objets et les costumes, nous nous interrogerons sur les formes du burlesque pour susciter le rire et l’émotion.
Poétique de l’objet et du costume
En réagissant avec eux, les objets et le costume offrent toute une palette de couleurs, de rythmes et de contretemps ponctué parfois par l’univers sonore. Le contretemps génère le rire parce qu’il est inattendu. Les jouets retrouvés peuvent emmener vers un jeu d’adresse, d’équilibre et de déséquilibre. Les moteurs du rire viennent aussi des objets qui résistent : attitudes cocasses et ridicules, maladresse, exploits puis dégringolades. Avec les objets ou le costume, les personnages déploient tout un rituel. Les manies du rangement de la soeur aînée nous font rire parce qu’elles reflètent ce que nous sommes ou au contraire ce que nous ne faisons pas.
Les objets peuvent être détournés de leur fonction d’origine apportant au spectacle une dimension absurde ou poétique. Le costume est ajusté à chaque personnage selon leur caractère et leur dynamique. Il y a plus de densité chez l’aînée dont la maturité est symbolisée par la cerise et plus de légèreté chez la cadette, symbolisée par la fleur. L’aînée cherche les chaussures rouges de la mère, comme deux cerises chaussés à ses pieds et la cadette cherche la robe à fleurs comme la fleur de cerisier. La messagère porte une longue robe claire couverte d’un tulle comme ce lointain dont elle est faite. Pour Charlotte Villermet, il s’agit d’habiller le corps des comédiennes comme une architecture.
Bascules de jeu : du burlesque au mélodrame
Le duo que forme le petit garçon et Charlot dans le Kid de Charlie Chaplin est très inspirant. Ce film est une merveille. Il est d’une grande profondeur et poésie, il raconte l’humanité blessée dans des situations quotidiennes et drôles, il est l’expression de l’amour dans ce qu’il a de plus puissant et de plus désarmant. Pour le spectacle, choisir comme point de départ, la mort de la mère, constitue un arrière plan dramatique.
La présence de l’absence est intéressante à aborder au théâtre. La mère est omniprésente par les traces qu’elle laisse mais aussi par cette étrange messagère qui vient apporter sa lettre. Est-elle un ange comme dans le rêve de Charlot dans le Kid ou comme Hermès, messager des dieux ? Ce personnage interpelle particulièrement les jeunes spectateurs par son caractère énigmatique. Ils peuvent se laisser aller à plusieurs interprétations et chacun pourra recevoir le spectacle par le filtre de son propre rêve.
Dans leur exploration de la maison parentale, les deux soeurs vont être amenées à ouvrir l’armoire de la mère. Les vêtements sortis et endossés inopinément par la soeur cadette vont la conduire à jouer la mère, inversant ainsi le rapport avec la soeur aînée. Situation inattendue, cocasse, inespérée qui va lui permettre de faire autorité sur elle. La soeur aînée va se laisser aller à ce jeu et y croire complètement parce qu’elle ressent cruellement le manque de la mère. C’est un moment de vérité et de rapprochement entre les deux soeurs. Cette bascule de jeu permet de pousser l’état émotionnel de l’aînée qui révèle ainsi sa faille et nous touche.
Un peu plus tard, les voilà assises au milieu des jouets de l’enfance, sans trouver ce qu’elles cherchent. Elles sont face au public, désemparées, dans le silence. Deux personnages sur scène qui ne font rien, c’est deux êtres « seuls face au monde », comme les personnages de Samuel Beckett.
Virtuosité du jeu
Toutes les maladresses sont les bienvenues dans ce spectacle mais ce que nous cherchons derrière les échecs ce sont les virtuosités parce qu’elles nous transportent le coeur, nous font rêver, nous surprennent quand on n’y croyait plus. Le jeu comique est difficile parce qu’il répond en permanence à des montées de gamme comme s’il s’agissait de suivre une partition de plus en plus virtuose. En même temps que la gamme, c’est le niveau de jeu qui monte !
Eric Nesci qui collabore à la mise en scène apporte sa sensibilité mais aussi son savoir-faire concernant ces virtuosités-là. Les situations auxquelles seront confrontées les deux soeurs vont les amener à se dépasser, à aller aux delà de leurs limites. Un obstacle à leur désir, une porte fermée comme nous l’avons évoquée auparavant, peut les conduire à faire des efforts surhumains pour tenter de forcer la serrure jusqu’à la syncope ! Le spectacle dépasse le cadre du jeu réaliste pour aller vers une fantaisie débridée et parfois même vers des comportements extrêmes. Les états et les émotions passent par de nombreuses variations de couleurs : Véronic Joly et Stephanie Liesenfeld ayant une grande expérience de jeu, ne demandent que ça.
Univers musical et sonore
Ces moments plus sensibles peuvent trouver leur expression dans la musique et le chant. La berceuse que la mère leur chantait quand elles étaient enfants vient comme un baume sur une blessure. Les musiques, l’univers sonore et les chansons seront principalement écrits et composés pour le spectacle. Olivier Deparis a une écoute extraordinaire vis à vis du texte et des situations scéniques et ses propositions apportent beaucoup à l’écriture du spectacle. L’univers sonore, vif, rythmique et percussif soutiendra les contretemps essentiels au jeu comique et le jeu des comédiennes qui réagiront à ces ponctuations sonores.
Des instruments de musique sortis du coffre à jouets vont les accompagner. Leur taille reste à la hauteur de l’enfance : un ukulélé, un petit tambour. Elles sauront en jouer, et surprendront une fois encore le public. Ce sera l’occasion de chanter, de fêter leurs retrouvailles, d’exprimer leur joie d’être à nouveau ensemble, de se dire l’amour qu’elles ont l’une pour l’autre, qu’elles avaient perdu de vue et qu’elles ont retrouvé grâce à l’inventivité et à l’amour inconditionnel de leur mère.