Intentions de mise en scène

Jour après jour, des hommes, des femmes, des enfants lancent des appels au secours vers l’Europe. Comment y répondre ? Le théâtre peut être une réponse. Il est un lieu où la parole peut circuler. Devant une telle réalité, il est essentiel d’imaginer pour se mettre à leur place, de s’asseoir pour comprendre, d’agir pour accompagner la dynamique qu’ils impulsent. La traversée du Azhar est une fiction inspirée par des récits vécus qui m’ont été rapportés par des hommes de pays différents, chacun face à son drame, sa problématique et ses espoirs. La pièce prend sa source dans l’imagination mais aussi dans l’expérience de l’accueil que je vis.

Dans mon travail de metteuse en scène, j’ai toujours choisi des textes où l’humanité est fortement en jeu. Les mouvements de population que nous vivons actuellement pour des raisons politiques, économiques, climatiques m’ont poussée à me mettre moi aussi en mouvement par l’écriture. Comme une bouteille lancée à la mer, j’écris des mots sur le papier pour qu’ils soient une réponse.

Chaque scène a été écrite avec la vision du plateau. La pièce n’est pas une thèse. Je n’ai pas voulu m’inscrire dans un théâtre d’idées. Tout passe par l’incarnation des personnages. C’est une traversée physique qui marque la chair. Pour ressentir l’impensable, le travail sur le mouvement est fondamental pour les acteurs comme pour le public et notamment pour les adolescents auxquels je souhaite m’adresser. La pièce est traversée par les questions fondamentales et les tiraillements inhérents à ce drame humain et mondial. Mais l’histoire n’est pas réduite à ce noeud-là. Autour d’Azhar, les autres personnages existent. Parler de l’étranger c’est aussi parler de ceux et celles qui l’accueillent, de ceux et celles qui sont sceptiques ou le refusent.

Photo©UNHCRMark-Henley

Photo©UNHCR/Mark Henley

La trame de départ est simple en apparence. Il s’agit d’une famille qui héberge pour un mois un demandeur d’asile par le biais d’une association. Par ce choix, j’ai voulu parler de cette hospitalité qui se pratique aujourd’hui et qui est peu médiatisée, de cette hospitalité qui s’inscrit dans une tradition ancestrale. Cela permet de passer de l’image des « migrants » à l’histoire d’un homme qui pourrait être nous-mêmes.

Le théâtre peut nous aider à sortir des clichés et du fantasme de l’invasion. Derrière ces gens coincés à nos frontières, il s’agit bien d’un homme, d’une femme, d’un enfant, chacun dans son unicité et sa singularité. Les plus grandes aventures théâtrales se sont nourries du métissage des cultures. Elles sont une représentation du monde réel qui s’invente dans l’altérité et non pas dans la peur de perdre son identité. Homère et Sophocle, pour ne citer qu’eux, nous rappellent bien que le droit d’asile est présent dans nos gênes depuis longtemps.

Avec David Saint Sulpice qui a collaboré à l’écriture en apportant son éclairage et sa sensibilité, nous souhaitons nous adresser au public en laissant toutes les portes ouvertes. La pièce embrasse plusieurs points de vue sans jugement. Devant une telle problématique, la complexité des réactions est essentielle, elle est même un moteur formidable de jeu pour les acteurs et porte une vraie dimension théâtrale. C’est une traversée concrète pour un homme qui suscite des traversées intérieures pour lui-même et pour les autres pris avec lui par ce flux ininterrompu d’appel au secours.

Valérie Castel Jordy

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